Montebello: le feu aux poudres, les larmes aux yeux

 

Mots clés : dirigeants, sommet de Montebello, Justice, Manifestation et émeute, Canada (Pays)

 

La tension a été vive toute la journée hier dans les rues du village de Montebello. Pendant que les chefs de gouvernements canadien, américain et mexicain se réunissaient à huis clos loin des protestataires, policiers et manifestants se faisaient face à l'extérieur du périmètre de sécurité. Après quelques escarmouches, une étincelle a finalement mis le feu aux poudres en fin de journée. Récit.

 

Montebello -- Il était 13h quand la Sûreté du Québec a signalé la première anomalie. La route 148 qui relie Montréal et Gatineau en longeant la rivière des Outaouais venait d'être fermée à la circulation. Au même moment, des centaines de manifestants quittaient la vieille gare au centre du village en direction de la porte du périmètre de sécurité qui protège le Château de Montebello, 500 mètres plus loin.

 

En tête du cortège formé d'étudiants, de syndicalistes, d'anarchistes avoués et de leaders de la gauche canadienne, les représentants du Conseil des Canadiens veulent remettre aux chefs de gouvernements une pétition de 10 000 noms qui s'opposent à la tenue de ce sommet sur le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (PSP). Mais les liasses de feuilles noircies ne trouveront jamais preneurs, l'escouade anti-émeute barrant rapidement la route aux manifestants à 25 mètres de l'entrée principale de l'imposante clôture qui entoure le Château. Le face-à-face commençait.

 

Au milieu des slogans évocateurs -- «non au PSP, oui à la démocratie», «Les trois bandidos», «Est-ce que c'est notre futur? Réveillez-vous et protestez -- un homme en complet-cravate, épinglette dorée du Mexique bien en évidence sur le veston et lunettes fumées sur le nez, fendait la foule de plus en plus dense et active. Gustavo Iruegas est secrétaire des affaires étrangères du gouvernement symbolique du Mexique, un Conseil des ministres fantôme formé par le candidat défait à la présidence Manuel Lopez Obrador, qui ne reconnaît pas la victoire de son rival et aujourd'hui président mexicain, Felipe Calderón. «Cette réunion est très mauvaise pour le Mexique, a dit Gustavo Iruegas au Devoir. Le Mexique n'a pas d'ennemis, mais en se collant sur les États-Unis, on va en avoir. Et ce n'est pas ici, derrière des portes closes, que le Mexique va régler ses problèmes de pauvreté

 

Gustavo Iruegas partage la principale crainte des 1500 manifestants réunis à Montebello hier: la perte de souveraineté des pays avec PSP. «On va niveler par le bas tout ce qui est possible pour faire plaisir aux États-Unis et au Mexique, comme c'est maintenant le cas avec les pesticides sur les aliments. Les Américains ne se plieront jamais à notre volonté, il faudra suivre comme des petits chiens», estime Nicolas Laplante, 24 ans, qui travaille dans une banque alimentaire à Ottawa et qui est venu manifester avec des amis contre ce sommet «secret». «Pourquoi les présidents de multinationales peuvent être entendus et pas nous, ajoute-t-il, faisant référence aux 30 dirigeants de grandes entreprises qui ont été invités au sommet de Montebello (10 de chaque pays).

 

Au milieu de l'après-midi, alors que les autocars de manifestants en provenance de Toronto, d'Ottawa, de Montréal et de Guelph arrivent finalement à destination, la tension monte d'un cran le long du cordon policier. Des jeunes vêtus de noir, bandeau sur le visage, bouclier et bâton à la main et masque à gaz en bandoulière, commencent à jeter des pierres et des bouteilles en direction des forces de l'ordre. Au-dessus des manifestants, l'hélicoptère de la SQ remplit l'air d'un bruit assourdissant. La musique dansante des protestataires devient à peine audible.

 

Premières grenades lacrymogènes

 

Il est 15h30 lorsque les policiers tirent les premières grenades lacrymogènes. Les manifestants se sauvent dans le désordre. Les éclopés en larmes trouvent refuge quelques mètres plus loin dans les bras des secouristes improvisés qui aspergent d'eau les yeux en feu. Cinq minutes plus tard, comme le ressac d'une vague, les protestataires reviennent à la charge. La SQ et la GRC ont de nouveau les manifestants dans le visage. Les injures fusent. La tension est à couper au couteau.

 

Pour Amir Khadir, porte-parole de la formation politique Québec Solidaire, tout ce cirque est «indigne d'une démocratie». «On n'a pas le droit à la moindre dissidence sans avoir l'escouade anti-émeute et cette répression policière», a-t-il dit au Devoir quelques minutes avant le début des escarmouches.

 

À quelques mètres du périmètre de sécurité, assis au milieu de la route, une quarantaine de personnes, surtout des jeunes, discutent des dangers du PSP. «Il faut se représenter nous-mêmes, parce que les politiciens qui sont -dedans ne nous représentent pas, lance Kim Beaudoin, 22 ans, qui a initié ce sit-in improvisé. Les policiers veulent la confrontation, c'est pour ça qu'ils déploient ce périmètre. Nous, on pense qu'on est plus productifs en discutant qu'en se chamaillant avec eux

 

À 17h40, après quelques affrontements mineurs, les policiers et les manifestants les plus radicaux décident d'en découdre pour de bon. Une roche lancée vers les policiers souffle avec la force d'un ouragan sur les braises et déclenche une poussée des forces de l'ordre, qui gazent les 1500 manifestants sans se gêner. Les protestataires se replient dans le village. Bilan: Cinq policiers blessés légèrement et quatre arrestations aux motifs d'avoir troublé la paix, d'entrave et de résistance à une arrestation. À 19h30, la 148 était de nouveau ouverte à la circulation, et les manifestants avaient repris le chemin de la maison.